Le boulanger Lui, c'est un travailleur. Je l'ai connu la veille du 8 août et ce n'était pas la moitié d'un fainéant, ça se voyait. Il était d'ailleurs assez aimable, quand je suis allé acheter du pain mon premier jour à St Amans. Il m'a même offert une chocolatine. Maurice Vidal est le seul et unique pâtissier-boulanger du village, sympathique, rondouillard et débonnaire, il alimente en pain tout St Amans Valtoret. Il fait une tournée régulière vers les 8h avec sa voiture, klaxonnant à tout va (pour être bien sûr que personne ne rate sa miche de pain quotidienne, sait-on jamais) sauf le 8 août 1952. Ce jour là c'est sa femme qui fait la livraison : Maurice est occupé à la préparation du gâteau de mariage de Colette et René Vaïsse, les mariés du jour. Pendant que Clothilde Vidal commence la tournée quotidienne à la place de son mari par la rue du plan Castel et la rue de la Sophie (où Mme Simon ne repartira jamais sans sa miche 'bien cuite', comme elle aime le crier) pour finir par le boulevard Jeanne d'Arc et le chemin de Lembraut, M. Jacques, lui, attends. Il vit rue de l'église, est veuf, habite tout prêt du boulanger, mais ne romprait jamais ô grand jamais sa tradition de prendre le pain à la camionnette 'comme tout le monde', parce que tout le monde a toujours fait comme ça.
"Et il est où, Maurice, nom d'un chien ?" lance t-il tous les jours depuis 65 ans à la pauvre Clothilde, venue dépanner.
"Il fait le gâteau pour le mariage des Vaïsse, il sera là demain." répond-elle toujours, un peu vexée qu'on préfère son mari à elle. Visiblement, M. Jacques n'est pas quelqu'un de méchant : mais il côtoit juste très peu de gens depuis la mort de sa femme et le boulanger est la seule personne qui lui apporte quotidiennement un peu de gaieté et d'attention dans sa vie morne et peu colorée.
De retour de la tournée, Clothilde fait remarquer à son mari – systématiquement – qu'il n'a pas fait assez de pain de campagne et que les Morel – place du marché - s'en sont plaint. Il lui répond alors – toujours avec le même sourire malicieux
"que s'ils avaient été assez agréables pour être invités au mariage des Vaïsse, du pain de campagne, ils en auraient !". Car en plus de la pièce montée de choux café, vanille et chocolat, Maurice s'occupe du pain pour les 80 invités.
Il est intéressant de noter, dans ce rituel perpétuel qui ne bouge pas d'un pouce, que des interventions de particuliers de Mlle Pomarine ont par 3 fois réussis à semer le désordre dans la routine des Vidal. La première fois c'est le pouvoir de Martine qui perturba la tournée de la boulangère : elle me montrait son pouvoir dans la cour du château en créant une cascade vertigineuse dans le parc. Mais hélas l'eau s'écoula si fort par les remparts qu'elle innonda carrément les deux rues voisine, dont la rue de l'église. Complètement perturbés par cette soudaine inondation (il n'avait pas plu depuis 3 semaines et il faisait une grosse chaleur), Clothilde bloquée, interrompit sa tournée, arriva en retard à la boulangerie et ne put empêcher une partie de la pièce montée de Maurice de tomber au sol.
La seconde fois c'est Joël – en promenade dans le village – qui se fit rapidement accoster par les villageois pour savoir qui il était et où étaient ses parents. Décontenancé, encerclé par les adultes, il paniqua et mis le feu au commerce le plus proche : la boulangerie. Hop, pif paf pouf, adieu Maurice Vidal. Cramé. Avec la panique, Joël réussit à quitter les lieux et à se cacher jusqu'à ce que la boucle soit relancée par l'Ombrune, le soir. De mémoire, je crois qu'il n'est plus jamais ressorti seul du château.
La troisième fois, et là c'est plus drôle : Joël avait parié avec Annie qu'elle était incapable de voler jusqu'à la plus haute tour du château. Elle l'a fait, mais comme la boulangerie est juste en face de l'enceinte du château, Maurice esclaffa par terre la pièce montée qu'il était en train d'apporter au mariage. Bien évidemment grosse émeute, Annie et ses ailes noires déployées vues par au moins dix personnes provoquèrent une grosse pagaille. Mlle Pomarine fut obligée d'utiliser tous les pouvoirs des particuliers de la boucle pour les repousser jusqu'à ce que la boucle se refasse. Et moi j'étais bon pour une splendide migraine tellement l'utilisation de ma télépathie m'épuisa. Joël se fit morigéner dans les règles de l'art par Mlle Pomarine et Annie utilise à présent son pouvoir avec beaucoup plus de prudence.
Il est toutefois intéressant de noter, que dans tous les cas, quoiqu'il se passe durant ce 8 août 1952, la belle Marinette Séguier - jeune et charmante célibataire du village - vient systématiquement acheter une profiterole au chocolat en fin de journée, profiterole qui lui est généreusement offerte par Maurice, son sourire ravi accroché aux lèvres.
J.M.